Le temps des Déluge
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Cycle: une mort, une naissance
C’est l’histoire de la mort d’un homme dont le nom est tombé dans l’oubli, non pas à cause du passage du temps; bien que cette histoire soit déjà très ancienne; mais parce qu’il n’avait jamais semblé suffisamment important pour que quiconque le retienne.
Un homme tellement insignifiant que personne ne remarqua quand, accablé d’une profonde tristesse dans le matin pourtant paisible, il s’éclipsa vers les falaises surplombant la mer non loin. Personne ne le remarqua quand il embrassa une dernière fois du regard le village qui l’avait vu naître, qui l’avait vu grandir, dans un dernier adieu, le vent marin lui fouettant le visage. Personne ne le remarqua quand, après un dernier souffle, les larmes aux yeux, il se jeta du haut de cette falaise, plongeant vers la masse noire d’eau en contrebas.
Personne ne le remarqua, ou du moins, c’est ce qu’il pensait , ermite sans famille qu’il était, évité par superstition et souhaitant seulement que quelqu’un lui accorde de l’importance. Mais il est des créatures dont on ne veut jamais attirer l’attention, leur œil maléfique n’amenant que malheur où il se pose.
Une telle créature avait remarqué l’homme et s’approcha de lui, brisé par sa chute et agonisant sous les flots, attendant la mort tant souhaitée. Il aperçu bientôt le monstre, ondulant sous l’eau, une forme serpentine et couverte d’une matière visqueuse noire semblant aspirer toute lumière. Sûrement le prît-il pour une illusion, une image cauchemardesque envoyée par son cerveau en manque d’oxygène, jusqu’à ce qu’il l’enserre dans une étreinte bien plus glaciale que celle de l’océan.
Atteignant la limite de sa résistance il tomba dans l’inconscience pour, contre ses attentes, se réveiller à la surface. Ses poumons brûlés par le sel le forcèrent à prendre goulée d’air après goulée d’air tandis qu’il se rendait compte qu’il se trouvait au beau milieu de l’océan, toujours prisonnier du serpent d’eau.
C’est ici que commença son calvaire: ballotté par les vagues, rongé par le sel, brûlé par le soleil, endurant des jours durant les blessures causées par sa chute. Mais surtout, le serpent, le gardant en vie et toujours conscient par un miracle qui ressemblait de plus en plus à une malédiction, qui lui susurrait à l’oreille mille accusations contre l’humanité qui l’avait abandonné à ce cauchemar.
Il avait beau implorer et supplier la créature de l’achever, jamais elle ne céda, le traînant toujours plus près de la folie. Peu à peu, les pleurs et les gémissements firent place à une rage indicible contre son ravisseur. Puis cette rage-ci se tourna avec le temps contre ceux de son village qui l’avaient ignoré, puis vers l’humanité entière. Cette rage, cette haine enfla jusqu’à un point de non retour, et c’est alors que le serpent estima avec satisfaction que l’homme était prêt, lui chuchotant un tout nouveau refrain, un refrain de vengeance et de destruction.
Peu après, le serpent les propulsa jusqu’à la côte la plus proche pour se métamorphoser, une fois sur le sable, en une silhouette noire diffuse perçée uniquement de deux yeux blanc. L’homme se relevait avec difficulté, ses blessures semblant s’être soignées, bien que de la mauvaise manière.
“Tu sais ce qu’il te reste à faire”
La sublimation fut comme une libération pour lui, la séparation de son éther semblant une douleur superficielle comparée au supplice qu’il venait de subir. Ici, au moins, le changement fut rapide.
C’est l’histoire de la mort d’un homme dont le nom est tombé dans l’oubli.
C’est l’histoire de la naissance d’un monstre dont le nom a résonné dans les mémoires de générations entières.
Le Déluge.
La Terreur venue des flots
“Tu as entendu la rumeur?”
Papa et Maman sont encore en train de parler de lui. Ils ne veulent pas que je le sache, ils disent que je suis trop petit, que j’aurais peur.
“Apparemment le village de Maloir a été attaqué et complètement fauché la semaine dernière. Il n’y avait plus personne.”
Pourtant, c’est eux qui ont l’air d’avoir peur, ils ne parlent de lui qu’en chuchotant. Tous les adultes le font. Comme s’ils pensaient qu’il viendrait dès qu’il entendrait son nom.
“Maloir? Mais c’est juste à côté! Il faut qu’on s’en aille, qu’on s’éloigne de ce… de ce monstre!”
Moi je n’ai pas peur de lui. J’aimerais bien voir à quoi il ressemble. Lui et ses Aberrations. Les adultes disent qu’il est toujours accompagné d’une vague d’Aberrations.
“Et pour aller où? Tu penses vraiment qu’une poignée de kilomètres vont arrêter les marées d’Aberrations qu’il envoie?”
Ou des marées, c’est vrai. Je me demande si il a les yeux rouges. Il a surement les yeux rouges. Les méchants ont toujours les yeux rouges dans les histoires.
“N’importe où! Pourquoi pas dans les terres? J’ai entendu dire qu’il ne s’attaquait qu’aux villages côtiers… Et puis, penses un peu à ton fils! Théotim n’est pas en sécurité ici.”
J’en ai marre de les espionner. Je monte plutôt à l’étage et je regarde la mer qui s’étend sous les falaises au travers de la fenêtre ouverte. Elle est plutôt calme aujourd’hui.
Puis je les aperçois. Des petites tâches qui sortent de l’eau une par une, de plus en plus nombreuses, jusqu’à ce qu’elles recouvrent la berge au loin. Elles bougent comme si elles avaient une seule conscience, comme… comme une vague.
La cloche d’alerte commence à sonner. Je ne peux pas m’empêcher de les regarder avancer vers le village. C’est impressionnant! Je me penche en avant pour mieux voir, mais Maman me tire violemment en arrière. Je ne l'avais pas entendue arriver.
La cloche continue de sonner.
Elle m’entraine en bas. Mon père n’est plus là. Son harpon n’est plus sur le mur non plus. J’entends un cri au loin.
La cloche sonne.
On descend dans le cellier par la trappe dans le sol. Elle me dépose derrière les barils de poisson salé. C’est ma meilleure cachette quand on joue.
La cloche sonne.
Elle me met un couteau dans les mains, et je commence à paniquer. Je n’ai pas le droit d’avoir de couteau d’habitude. Je comprends enfin le danger de la situation. D’autres cris retentissent dehors.
La cloche sonne.
Maman me fait promettre de rester caché et d’attaquer quiconque me trouverait si ça n’est ni elle ni Papa. Je fais oui de la tête. Je lui dit que je serais courageux. Elle sourit et m’embrasse sur le front.
La cloche sonne.
Elle sort et referme la trappe, me plongeant dans le noir. J’entends qu’elle pousse quelque chose sur la trappe. Ca a l’air lourd.
La cloche sonne.
Les cris se rapprochent. Des bruits de métal dans la pièce au-dessus. Des pas.
La cloche sonne.
Soudain, un grand craquement. Les cris sont tous proches.
La cloche sonne.
Un grognement. Maman qui crie. Des raclements. Je retiens mon souffle.
La cloche sonne.
Les cris s’éloignent.
La cloche sonne.
La cloche ne sonne plus depuis un moment. À vrai dire, il n’y a plus un bruit, c’est le silence complet. Ça doit faire des heures. Mais je dois rester caché. Je resserre mon poing autour du couteau. Je ne pleurerai pas. J’ai dit que je serais courageux.
Et puis, le silence est brisé. Des voix. Bientôt, des pas dans la salle au dessus. Une exclamation. Ils déplacent ce qu’il y avait sur la trappe. La lumière parvient dans la pièce, et je plisse les yeux. J’entends quelqu’un qui descend.
“Il y a un gamin là dessous, il doit pas avoir 6 ans.”
Il m’a trouvé. J’ai promis à Maman. Je me prépare, et dès qu’il s’approche je tente de le frapper avec ma lame. Il me pare facilement, et tente de me prendre dans ses bras, mais je me débat de toutes mes forces. Il ne me lâche cependant pas et je suis tellement, tellement fatigué.
“Du calme gamin, c’est fini.”
Je n’en peux plus, et je me laisse aller, des larmes plein les yeux. Il est venu. Lui. Et maintenant j’aimerais ne pas connaître les rumeurs. Parce que je sais ce qui m’attends dehors. Le vide. Un vide infini et dévorant.
“T’inquiètes pas petit, c’est fini, t’es avec nous maintenant, avec les Veilleurs, on te protégera.”
L’assaut de la Baie
“Nous avons traqué les trainées d’Aberrations jusqu’à la côte. Apparemment cette ordure a établi son repaire dans une baie entière où les monstres à son service rapportent leurs victimes après chaque attaque d’un village du littoral. Théotim a eu une chance folle qu’ils ne le trouvent pas quand ils se sont attaqués au sien. Le pauvre gosse est quand même traumatisé, il a refusé de me lâcher pendant des heures. Il s’est enfermé dans le mutisme. Je l’ai laissé avec ma Lorna, j’espère qu’elle saura le calmer.Tout ça, toute cette douleur, tous ces morts, c’est la faute de ce déchet.
C’est aujourd’hui qu’on a lancé l’assaut final sur la baie: des escouades entières de Veilleurs venant de toute la région, voire même d’au-delà, pour se débarrasser du Déluge. L’endroit grouillait d’Aberrations, on aurait dit une masse liquide de loin. La bataille fut particulièrement rude, s'étalant jusque dans le cycle de nuit, d’autant plus que Le Déluge devait être au courant de notre arrivée et avait organisé ses sous-fifres.
Cependant, vers le milieu de la bataille, cette organisation a été perdue et elles ont commencé à se battre de manière plus individuelle et chaotique. Les gars disent que c’est surement à ce moment là que la Noirceur a dû rendre l’âme aux mains des Maîtres Veilleurs partis l’exécuter. Toujours est-il que cela nous a facilité la tâche. Non pas qu’elle fut aisée, c’est très rarement le cas avec les Aberrations, et elles étaient ici en grand nombre, mais leur désordre nous a permis d’atteindre la victoire.
Il y a eut des pertes, comme on pouvait s’y attendre, mais elles ont été minimes au vu de l’ampleur de l’opération. Les familles seront prévenues d’ici peu et elles pourront récupérer les corps.
On se chargera demain du nettoyage de la plage. Le sable qui devait être blond est devenu complètement brun après l’hécatombe, mais rien ne pourra être fait de ce côté là. Il s’agira surtout de brûler ce qui reste des Aberrations, et puis ramasser les os.
Je ne m’en suis aperçu qu’après la bataille, absorbé que j’étais dans mes combats, mais le sable est jonché de squelettes humains. Ils sont plus ou moins entiers, plus ou moins enfoncés dans le sable selon les cas, mais tous sont parfaitement nettoyés, presque blanchis. Pas un reste de chair, sur aucun d’eux. Tant de squelettes… Je ne sais pas ce qu’ils ont fait à ces pauvres gens, mais c’est comme si_”
Jakim arrête d’écrire et scrute les alentours, ayant entendu des bruits de pas. Il repère rapidement Vormel Vivelame, Maître Veilleur et accessoirement son frère, qui se dirige vers lui. Ce dernier vient s’asseoir à ces côtés et tend les mains vers la chaleur crépitante du feu de bois devant eux. Le campement est silencieux tout autour, à l’exception de cris périodiques d’oiseaux nocturnes.
“Toujours en train d’écrire dans ce vieux journal, frangin?”
“Bien sûr, comment veux-tu que je vante mes actes de bravoure à mes futur petits-enfants si je ne m’en souviens pas?” rétorque Jakim avec un sourire.
Vormel laisse échapper un faible rire “Il faudrait déjà que tu réussisses à avoir des enfants avant de penser à la génération suivante.”
Jakim perd immédiatement son sourire et affecte un air grave.
“Désolé, ça n’est pas pour ça que je venais te voir.” s’excuse Vormel. Il se racle la gorge.
“C’est à propos du Déluge.”
Son frère referme alors son journal et le pose de côté, lui faisant signe de continuer.
“Comme tu le sais, je faisais partie de ceux chargé de l’exécuter_” Jakim hoche la tête “_et cette vermine s’était planquée sur un rocher au large. Autant te le dire, arriver jusque là a été bien pénible, vu comment il nous envoyait des paquets d’eau au visage en continu. Mais une fois sur place, on s’est rendus compte que l’énergumène était quasiment sans défense.”
Vormel a un léger rire de nez.
“Comme quoi ce gars n’était presque rien sans ses monstres. Oh, il s’est défendu, mais rien de comparable avec ce que vous avez dû subir sur la plage. Enfin, l’affaire a été surprenamment vite réglée quoi.”
“Je ne sais pas pourquoi tu me racontes tout ça.” s’étonne Jakim.
“Ça ne te ressemble pas de te moquer d’un ennemi vaincu, même si c’était une Noirceur.”
“Ça n’est pas vraiment de ça dont il s’agit, c’est autre chose, mais c’est lié. Je m’inquiète surement pour rien, mais il faut que j’en parle à quelqu’un, et je sais que tu m’écouteras jusqu’au bout.”
Il se détourne alors du feu pour faire face à Jakim.
“Avant qu’on l’achève, frangin, ce maniaque nous a balancé pas mal de choses. Un vrai moulin à paroles. Les autres Maîtres ont pas vraiment pris ça au sérieux, mais moi il y avait un truc qui me gênait. Il arrêtait pas de parler d’un serpent, comme quoi tout ça était son oeuvre, et comment ça ne serait jamais fini, même après sa mort, parce que le serpent serait toujours là.”
Vormel vient se frotter le front, l’air soudainement fatigué.
“Je me dis que ce ne sont sûrement que les délires de quelqu’un sur le point de mourir, ou qu’il essayait d’entrer dans nos têtes mais… J’ai peur qu’on ait une autre Noirceur sur les bras, et un gros morceau cette fois.” Il soupire lourdement, puis se met à observer les flammes, attendant la réaction de Jakim.
Ce dernier baisse les yeux vers les flammes, les sourcils froncés, en pleine réflexion.
“Il ne me semble pas avoir entendu parlé de la présence d’une autre Noirceur dans la région_” finit-il par lâcher “_et une telle chose aurait assurément fait beaucoup de bruit. Cependant, ça n’est pas la première fois qu’on voit des Noirceurs coopérer. Si ce que tu crois est vrai, il va falloir qu’on se prépare…”
Il tourne enfin son regard vers son frère.
”Tu devrais vraiment en parler avec les autres Maîtres.”
Vormel se passe une main sur le visage, un soupir lui échappant. “C’est ce que je pensais aussi. Il n’y a plus qu’à espérer qu’ils vont écouter le petit nouveau.” Il se lève lourdement, posant sa main sur l’épaule de Jakim. “Merci frangin.”
Il part alors d’un pas décidé en direction de la tente où les autres Maîtres Veilleurs sont déjà en train de dormir.
Jakim le regarde partir, soucieux. Il va falloir qu’il envoie Lorna et Théotim en sécurité si les suspicions de son frère s’avèrent justes. Le continent de l’Unique a bonne réputation de ce côté. Lorna va détester.
Il se lève, jetant un dernier regard vers les flammes. Il est plus que temps qu’il aille se reposer, quelques heures de sommeil ne seront pas de trop après une telle bataille.
Deuxième du nom
12/04
Comme je l’avais craint, une autre Noirceur a fait surface. Les autres Maîtres Veilleurs avaient été sceptiques quand je leur ai fait part de mes inquiétudes, mais mon insistance à fait que nous avons été mieux préparés cette fois-ci. Nous avons été mis au courant de son existence et son champ d’action approximatif en un temps record grâce à des patrouilles renforcées dans la région. J’attends les rapports détaillés des escouades pour pouvoir commencer à concocter un plan d’attaque.
16/04
Cette Noirceur est définitivement des plus étranges. Non seulement a-t-elle pris le même nom que celle à qui j’ai eu affaire, mais elle a aussi une manière de procéder qui se rapproche de celle du premier Déluge. Je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose auparavant. Contrairement à son prédécesseur, ce Déluge vient lui même dans les villages pour noyer les habitants dans d’impressionnants ras-de-marée, mais comme lui il ne laisse presque jamais aucun corps dans les villages qu’il ravage. J’étais persuadé que les Noirceurs cherchaient à se démarquer avec leurs pseudonymes grandiloquents, mais il semblerait que ça ne soit pas le cas de celle-ci. Cela m’intrigue et m’inquiète en même temps.
Quelques pages plus loin...
22/11
Ce deuxième Déluge est de plus en plus frustrant. Trois fois nous avons tenté de l’arrêter, et trois fois il nous a glissé entre les doigts. Il ne se gêne pas pour fuir et se terrer pendant des mois avant de reprendre ses massacres un peu plus loin. J’ai tout simplement l’impression de jouer une version tordue de cache-cache. Mais la prochaine fois sera la bonne. Et Jakim sera à mes côtés pour le combat.
24/11
L’assaut aura lieu demain. Nous l’avons coincé dans ce qui semble avoir été son repère tout ce temps. C’est une sorte de gouffre profond au milieu de nulle part. Pas étonnant qu’on n’ait pas pu le retrouver toutes ces fois, cet endroit est vraiment éloigné de tout. La descente s’annonce rude: on ne voit pas le fond, qui se perd dans l’obscurité, et le seul accès semble être un escalier grossier à peine reconnaissable dans la roche. Je préfère tout de même ça à descendre en me ballotant au bout d’une corde.
Jakim et son escouade sont arrivées dans les derniers. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu, maintenant qu’il a déplacé toute la petite famille dans les Terres Seigneuriales. Sa simple présence me donne la conviction que la victoire sera nôtre demain matin.
Les phrases suivantes semblent avoir été écrites dans la précipitation, penchées, presque illisibles. La plume a taché le papier à plusieurs endroits.
Tout le camp a été réveillé par un choeur de cris et de hurlements émanants du gouffre, c’était à s’en glacer le sang. J’espère vraiment qu’il s’agit seulement du vent qui s’y engouffre… J’espère vraiment qu’il n’y a personne en bas encore dans les griffes du Déluge… Quels cris…
Je lance l’assaut immédiatement.
06/12
Nous l’avons eue. Cela a coûté leur vie à bon nombre de Veilleurs de notre côté, et m’a coûté mon bras droit. Je ne me suis pas encore habitué à ma prothèse runée, mais il semblerait que je réussisse à écrire tout aussi bien qu’avant. J’espère seulement que cela ne va pas avoir trop d’impact sur mes performances au combat. Je ne regrette pas cependant. Je donnerais à nouveau mon bras pour pouvoir l’achever comme je l’ai fait.
Ce Déluge-ci était bien moins bavard que le précédent. Il ne lâchait que des rires sinistres et des menaces. Je ne peux qu’espérer qu’il n’y en aura pas un autre. Dans tous les cas, il ne nous a donné aucun indice pouvant laisser penser à un successeur potentiel. Ça ne veut pas dire grand chose, mais ça me laisse un peu d’espoir.
Il va tout de même falloir que j’envoie un rapport à la capitale à propos de ce que nous avons trouvé en bas. Tout cela est vraiment inquiétant.
Le calme avant la tempête
Il semblerait que mon rapport ait atterri dans les mains de l’Unique, et que ce que j’y décrit ait semblé suffisamment inquiétant pour que des équipes soient déployées dans la région afin de ratisser les environs et passer l’ancien repère au peigne fin. J’ai été appointé pour coordonner les différentes équipes, comme je suis celui qui a pourchassé le Déluge tout ce temps.
Cependant, rien de plus n’a été trouvé dans le gouffre, ou du moins rien de plus que ce qu’on avait déjà remonté à la surface, et les escouades parties en reconnaissance sont revenues sans rien à raconter de plus que des rencontres avec des Aberrations de moindre dangerosité. Les patrouilles ont continué, mais à force de ne rien rencontrer, elles ont été grandement restreintes, plusieurs escouades étant renvoyées chez elles ou redirigées vers d’autres missions.
Maintenant, près d’un an après que l’on en ait fini avec le Déluge, il ne reste plus qu’une escouade qui arpente le terrain de manière régulière, laissée là un peu comme si on l’y avait oubliée. Je continue de faire des sorties avec eux, mais même ma paranoïa à moi s’est estompée après autant de temps. En plus de ça, la moitié des membres de l’escouade se croient en vacances tandis que le reste, les plus jeunes majoritairement, se plaignent du manque d’action.
Je pense que tout cela n’était qu’une fausse alerte et que je me suis emporté. La semaine prochaine j’enverrais l’escouade en permission, après quoi ils pourront être réassignés. J’en profiterais sûrement pour aller rendre visite au frangin et à Lorna. Le petit qu’ils ont adopté doit aller sur ses neufs ans maintenant...
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J’avais d’abord été contre le déplacement jusque dans les Terres Seigneuriales: après tout, il s’agissait quand même d’abandonner notre maison, et les temps après la fin du premier Déluge semblaient paisibles. Mais Jakim a eu raison de nous emmener loin de tout ça: non seulement y a-t-il eu de nouvelles attaques là où nous vivions avant avec l’arrivée de l’autre Noirceur, mais en plus de cela le changement de paysage a vraiment fait sortir Théotim de sa coquille.
Et dire qu’il était complètement traumatisé quand Jakim l’a ramené à la maison. Il continue d’avoir des cauchemars aujourd’hui encore, mais il n’hésite plus à venir me chercher quand cela arrive, et il a l’air d’être un petit garçon tout ce qu’il y a de plus épanoui.
Il nous a annoncé il y a peu qu’il voulait devenir Veilleur. Jakim était aux anges. Il a immédiatement voulu lui apprendre à se battre. J’ai du lui rappeler fermement qu’il avait à peine 12 ans pour qu’il se calme un peu.
Ils ont quand même commencé les entraînements, mais pas avant qu’ils m’aient promis tous les deux de faire attention. Ils sont vraiment adorables.
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Vormel est venu nous visiter il y a peu. Il le fait bien plus souvent depuis qu’il a cessé de s’inquiéter de l’arrivée d’un autre Déluge. J’ai l’impression que Théotim a commencé à l’idolatrer quand il a su qu’il est Maître Veilleur.
J’aurais préféré que ça soit moi son héros, mais il m’a assuré que je restais un père génial malgré tout. Il faudra s’en contenter.
Autant les visites de mon frère sont généralement très plaisantes, autant cette fois-ci elle était un peu plus alarmante. Il a demandé à avoir une conversation en privé avec moi juste après avoir salué ma Lorna et le petit, lui qui se précipite habituellement dans des récits abracadabrantesques pour impressionner mon fils dès son arrivée.
Nous nous sommes installés dans la salle à manger et Lorna et Théotim sont sortis pour nous laisser seuls.
Il m’a fait part des dernières nouvelles: les Noirceurs semblent disparaître immédiatement après que les Veilleurs aient eu vent de leur apparition. Ils ne savent pas de quoi il s’agit. Les rares Noirceurs qu’ils ont réussi à interroger depuis le début du phénomène n’ont soit aucune idée de ce qu’il se passe, soit refusent de coopérer totalement, comme on pouvait s’y attendre.
Les théories actuelles sont soient particulièrement positives, clamant que s’en est bientôt fini du règne de terreur de ces ennemis de l’humanité, soit particulièrement sinistres, avançant que les Noirceurs sont en train de s’organiser et coopérer entre elles pour lancer une grande attaque. Il semblerait que Vormel soit plutôt du côté des pessimistes, comme moi, mais la majorité semble espérer la fin de cette guerre à un point tel qu’ils penchent de l’autre côté. Les Veilleurs ont visiblement commencé à se relâcher à cause de cela.
J’ose espérer que Lorna sera toujours en sécurité ici si nos inquiétudes s’avèrent justifiées.
Je ne m’inquiète pas tant pour Théotim, il sait déjà se battre admirablement pour son âge, et pourra entrer à la Grande Académie dès qu’il aura atteint ses 16 ans l’année prochaine.
Malgré tout, il faudra creuser ce mystère.
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Je ferais enfin mon entrée à la Grande Académie d’Earghan dans trois jours. Papa m’a assuré que je serais très en avance sur les autres vu comment il m’a entraîné depuis que j’ai pris la décision de devenir Veilleur.
J’ai vraiment hâte d’y être, mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter, non pas à propos de mon éducation de Veilleur, mais plutôt à propos de ce qu’il se passe dernièrement.
Mes parents ne veulent pas me dire quoi, mais je sais que quelque chose ne va pas. Ils chuchotent entre eux quand je suis dans la pièce à côté et se taisent dès que je me rapproche.
Je déteste ça. Ça me rappelle trop le jour où cette Noirceur est passée dans mon village. Mes parents ne voulaient pas non plus que je sache quoi que ce soit à l’époque.
Je fais encore des cauchemars à propos de cette attaque. A chaque fois, la trappe s’ouvre, mais ce n’est jamais Jakim qui en sort comme ce fut le cas ce jour là.
A chaque fois c’est une Aberration, toujours différente mais toujours plus effrayante et pourvue de griffes et de crocs toujours plus nombreux. Je ne cours plus voir maman quand ça arrive maintenant. Je serais bientôt un homme, il est temps que je combatte ces visions cauchemardesques par moi-même.
Et dans dix ans, je pourrais enfin les exterminer réellement.
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Quelque part, dans un endroit isolé, un rire lugubre et grinçant s'élève depuis les profondeurs.
Un sourire à peine perceptible dans la brume noire qui entoure ce visage. Deux yeux blancs qui s’allument d’une lueur cruelle.
“Ils ont baissé leur garde. Ils se croient en sécurité.”
Les autres silhouettes noires semblent tendre l’oreille, le silence est presque absolu.
“Il est temps.”
La déferlante
Cela devait faire six mois que pas une Noirceur ne montrait le bout de son nez quand le premier rapport arriva sur le bureau de l’Unique. Un nouveau Déluge semblait être apparu, bien plus inoffensif que ses prédécesseurs mais une nuisance malgré tout.
Une délégation assez conséquente de Veilleurs fut envoyée pour marquer le coup. En effet, l’Unique voyait d’un mauvais œil l’insouciance dans laquelle la population s’était installée suite à la rumeur de la disparition des Noirceurs et au calme qui avait suivi.
Le temps lui fit avoir raison, puisque le temps que les Veilleurs en ait fini avec ce troisième Déluge, une dizaine d’autres Noirceurs avaient fait surface et commencé à semer le chaos sur tout le territoire, certaines reprenant le nom de Déluge et d’autres non.
Leur nombre continua d’augmenter encore dans les mois qui suivirent, chacune accompagnée de son cortège d’Aberrations, jusqu’à ce que chaque Noirceur qui avait disparu dans les années précédentes ait repris ses activités.
Les troupes de l’Unique ne savaient plus où donner de la tête, les hommes manquant pour repousser cet assaut brutal des ennemis de l’humanité.
L’Unique ne se laissait cependant pas prendre par la panique, et bientôt décida d’une marche à suivre. Il fut dressée une liste de priorités, priorisant la destruction des Noirceurs les plus meurtrières devant celle de leurs semblables causant moins de dégâts, au détriment des victimes de ces-dernières.
Les années qui suivirent se firent particulièrement difficiles pour les populations comme pour les combattants en blanc, ces-derniers ne se voyant octroyer comme congés que le temps d’embrasser leurs proches entre deux longues batailles éreintantes. Les troupes comme les habitants effrayés de l’empire ressentaient enfin tout le sens de ce nom de “guerre contre les ennemis de l’humanité” que Lorian Soufflecendre avait débutée. Une grande partie de la production agricole se vit redirigée vers l’alimentation des combattants partis batailler, alors même que nombre de champs étaient saccagés par la rage destructrice de certaines Noirceurs.
Les réserves qui avaient pu être faites grâce à la période de paix qui avait précédé finirent par en prendre un coup, puis à s’épuiser au fil des années, laissant les habitants dans une position difficile.
Tout cela ne fut pas vain cependant. Après un peu plus d’une dizaine d’années de combat acharné, l’activité des Noirceurs redescendit enfin à un niveau qu’on pouvait considérer comme “normal”.
Le nombre de “Déluge” qui avaient été terrassés était ridicule à ce stade (Vormel assurait qu’il en avait compté au moins 12), et un ou deux subsistaient encore parmis les quelques Noirceurs restantes.
L’Unique n’avait pas le temps de se pencher sur les possible machinations de ces Déluges, puisqu’un nouveau problème, bien plus inhabituel celui-là, émergeait déjà au nord d’Earghan.
Tandis que le gros des Veilleurs se dirigeait vers les Gorges de l’Unique métanisme en main, plusieurs escouades restèrent en arrière pour s’occuper des Noirceurs restantes. Vormel Vivelame insista pour faire partie de ces-dernières, toujours aussi intéressé par ce mystère et plus déterminé que jamais à découvrir de quoi il en retournait.
Pourquoi ces Noirceurs prenaient-elles le même pseudonyme? Pourquoi “le Déluge” et pas un autre? Est-ce que tout cela avait un rapport quelconque avec les disparitions puis réapparitions de Noirceurs?
Il le saurait bientôt. Il ferait tout pour.
Le ressac
L’escouade qu’avait rejoint Théotim était l’une de celles qui étaient restées pour continuer de nettoyer le territoire de ses Noirceurs, et le jeune Veilleur avait participé avec eux à la mise à mort de deux Noirceurs, bien qu’il n’eut jamais à porter le coup fatal.
Le groupe de Veilleurs avait reçu des informations de la part des habitants d’un village proche d’un nombre croissant de disparitions dans la région, ce qui les avait mené devant une grotte à moitié enterrée, et d’où ils pouvaient ressentir non pas une mais deux exhalations rouge foncé. Deux Noirceurs à la fois n’était pas une mince affaire, mais ces combattants avaient vécus les années noires et avaient confiance en leur capacité d’abattre ces ennemis de l’humanité.
Ils s’enfoncèrent donc dans la caverne basse de plafond qui descendait en pente douce dans la terre en tunnel. Dès leur entrée, un bruit presque continu mais à la provenance indiscernable parvint à leurs oreilles. Ce dernier se précisa et gagna en volume au même rythme que le plafond gagnait en hauteur lors de leur avancée, jusqu’à ce qu’ils puissent tous l’identifier comme un long hurlement d’agonie, à peine entrecoupé par les respirations de ce qu’ils pensaient être un homme. Ces cris leur servirent à se diriger quand le tunnel présenta plusieurs bifurcations, ressemblant de plus en plus à un labyrinthe.
Ils arrivèrent bientôt à une portion éclairée avec des torches enflammées, leur permettant de mettre de côté les lumières personnelles qu’ils utilisaient jusqu’ici. Une odeur dérangeante se mit à piquer leur narines, et ils trouvèrent sa source au tournant suivant. Lancés en tas sans plus de cérémonie dans un recoin de la roche se trouvait plusieurs cadavres, tous portant des blessures sur les parties exposées de leur corps, certains ayant même des symboles gravés à même leur chair.
Les réactions des Veilleurs passèrent du choc au dégoût pour finir sur la colère, l’escouade entière accélérant le pas en direction des cris qui n’avaient pas cessé. Un peu plus loin, ils commencèrent à trouver des aménagements dans la caverne, mobilier de fortune arrangés dans des renfoncements de pierre majoritairement, et, étonnamment, des prisonniers encore en vie. La plupart étaient enchainés ou restreints d’une quelconque manière, et clairement morts de peur, mais quelques-uns se baladaient librement. Ceux là se mirent à hurler et attaquer les Veilleurs comme ils le pouvaient dès qu’ils les aperçurent, mais furent rapidement contrôlés et assomés.
“Sous l’influence des Noirceurs sans doute… Avec un peu de chance ça leur passera quand on s’en sera débarrassé.” commenta le chef d’escouade tandis que les autres vérifiaient que les quelques agressifs n’allaient pas les déranger à nouveau, et détachaient quelques-uns des prisonniers pour qu’ils aident leurs camarades.
Une dizaine de mètres plus loin, le tunnel s’ouvrait sur une salle au très haut plafond et au centre de laquelle se trouvait un assemblage de gemmes de lysine immense, formant presque une colonne tant il s’élançait vers le haut. Accroché sur une sorte de support le maintenant debout contre cette colonne bleue et l’empêchant de bouger se trouvait l’origine des cris que les Veilleurs avaient entendus sur la quasi-totalité du trajet. Le jeune homme hurlait à s’en arracher les poumons, l’apparence presque cadavérique et le corps marqué d’une multitude de symboles à l’encre ou gravés à même la peau.
L’une des Noirceurs que l’escouade avait sentie était en train d’ajuster nombre de tubes pompant des liquides bleu et magenta dans ses veines en pestant sur l'absence de coopération de son cobaye. L’autre Noirceur n’était pas en vue, et celle juste en face d’eux semblait trop préoccupée par sa tâche pour leur payer la moindre attention. Les combattants se déployèrent donc en arc de cercle autour de leur ennemi, et le chef d’escouade prit la parole:
“Êtes-vous un ennemi de l'humanité?”
La Noirceur se retourna alors vers lui, se rendant compte pour la première fois de leur présence. A leur étonnement, elle ne passa cependant pas longtemps à les dévisager, se retournant pour faire face à un tunnel s’ouvrant tout prêt du plafond, de l’autre côté de la salle, et hurler:
“Vaesi, des intrus, occupes-toi d’eux. Ce sont des Veilleurs cette fois.”
...avant de s’occuper à nouveau de ses tubes, comme si l’escouade n’était pas là. Tous les soldats se crispèrent, les yeux rivés sur le trou auquel venait de s’adresser leur ennemi, persuadés que la seconde Noirceur en descendrait et attaquerait. Au bout d’une minute, rien ne semblait se passer, et la Noirceur se tourna à nouveau dans la direction du tunnel pour hurler:
“Vaesi, arrêtes tes plaisanteries et débarrasse moi de ces gêneurs! J’ai des choses plus importantes à faire que de m’occuper d’eux!”
Quelques instants après que la Noirceur ait fini sa tirade, l’exhalation de sa semblable sortit des limites de perception des Veilleurs, et semblerait-il de la Noirceur également, puisqu’elle sembla alors entrer dans une rage folle.
Arrachant les tubes qu’elle avait en main, ce qui eu pour effet de faire perdre conscience à son cobaye, elle se mit à hurler à pleins poumons dans toutes les directions à la fois, s’adressant à ce même interlocuteur absent.
“Tu me trahis toi aussi, Vaesi? Moi qui t’ai pourtant permis de découvrir ta véritable force! J’aurais dû me douter que tu ne valait pas mieux que cette ordure de David! Ingrat! Jamais tu ne pourras finir ces recherches sans moi, imbécile!”
Tournant ses yeux blancs vers les Veilleurs toujours en garde, sa grimace enragée se transforma en un rictus moqueur, et il reprit d’un ton presque mielleux.
“Eh bien, très chers, il semblerait que je sois votre partenaire de danse pour cette fois, comme mon camarade semble s’être éclipsé comme un lâche.”
Le temps d’un clignement d’yeux, la Noirceur qui se tenait devant les combattants avait été remplacé par un serpent énorme et comme couvert d’une substance visqueuse et noire.
“Cela ne devrait pas prendre trop de temps.”
Dès qu’il eut prononcé ces mots, le reptile chargea deux de ses assaillants, mais les soldats de l’Unique étaient prêts à l'accueillir. Le combat ne fut pas de tout repos, trois des combattants ayant été projetés violemment contre les parois de roche par les mouvements imprévisibles du serpent, s’effondrant inconscients sur le coup. Un autre n’avait pas pu esquiver la gueule béante du monstre et essayait de ne pas se vider de son sang par les plaies qu’avaient laissées ses crocs pareils à des dagues.
Malgré la confiance de la Noirceur, ils finirent par l’immobiliser à force de taillades dans ses flancs. L’animal écailleux s’était finalement effondré dans la flaque visqueuse que son sang formait petit à petit, avant de reprendre sa forme d’origine, roulé sur lui-même dans une position défensive. Le chef d’escouade s’était alors approché de la Noirceur, essoufflé, tandis que ses frères d’armes encore debout se tenaient prêts à l’achever au moindre signe d’agression.
“Possédez vous de quelconques informations sur les disparitions de Noirceurs d’il y a quelques années, la nuée d’attaques qui a suivi ou les Noirceurs répondant toutes au nom de Déluge? Toute information donnée vous garantira une mort rapide et la plus indolore possible.”
La Noirceur fut prise d’un éclat de rire entrecoupé de quintes de toux sanglantes à l’entente de ces mots. Elle finit par se calmer un minimum, et répondre d’une voix railleuse:
“Si j’ai des informations? Ah! Pauvre bougres que vous êtes! Je vous ai vraiment fait tourner en rond tout ce temps on dirait.”
Une autre quinte de toux la pris, et sa voix en fut d’autant plus rauque mais non moins suffisante quand elle repris:
“Je suis celui qui a orchestré tout ça, rien que pour ne pas avoir des gens de votre espèce sur le dos! Et vous voyez où ça m’a mené? Déjà, quand j’ai créé le premier Déluge_”
Une souffle de surprise accompagné d’un bruit de métal tombant au sol se fait entendre.
“_vous et vos petits camarades m’avez mis des bâtons dans les roues. Enfin, des métanismes plutôt, ah ah… Et pareil avec le deuxième! Impossible de faire des recherches tranquille_”
“Théotim, qu’est-ce que tu fais?”
“_sans qu’une de vos petites escouades en robe blanche vienne tout gâ__”
Le premier coup de couteau pris tout le monde par surprise, d’autant plus la Noirceur, déjà prête à s’élancer dans un récit de ses exploits pour détourner l’attention des Veilleurs. C’est lorsque Théotim le planta une deuxième fois dans sa gorge avec cette fois un cri de rage que tout le monde réagit enfin. Il fallut trois de ses camarades pour tirer Théotim à l’écart du cadavre qu’il continuait de poignarder en hurlant:
“Sale pourriture, c’est à cause de toi si mes parents sont morts! Monstre! Monstre! Tu mérites de souffrir mille morts pour ce que tu leur a fait!“
Ils finirent par l’assommer quand ils ne réussirent pas à le calmer. Le chef d’escouade organisa ses troupes pour s’occuper des blessés et pour escorter les prisonniers encore dans la caverne, le jeune homme dont les cris leur avaient permis de se diriger étant finalement libéré de ses liens.
Ils devraient aussi fouiller la caverne pour comprendre ce qu’il s’y passait avant leur arrivée, ainsi que retrouver ce “Vaesi”. Mais cela pourrait attendre encore un peu.
Recherches et découvertes
Votre Unicité,
Je viens ici vous apporter la suite de mon rapport sur la Noirceur connue sous le nom du Serpent et ce que nous avons trouvé dans son repère.
Nous avons tout d’abord pu identifier la Noirceur comme étant précédemment l’archimage Pediam Cyclefoi, très versé dans la biothéromancie. Nous avons pu par association identifier le “David” dont il aurait parlé selon les Veilleurs sur place comme étant David Portlevant, un autre archimage, qui a été assassiné par le Serpent peu après son passage du côté des Noirceurs.
Les rapports de l’époque parlent d’une histoire de jalousie, Portlevant ayant fait une découverte conséquente à l’époque que Cyclefoi aurait essayé de s’approprier comme étant son travail. J’avoue ne pas m’y connaître assez pour comprendre ce que cette découverte était, mais je doute qu’elle est à voir avec la situation dont nous nous préoccupons.
Nous avons pu récupérer un assez grand nombre d’informations en fouillant la caverne qui servait de repère aux deux Noirceurs; des échantillons de produits que nous y avons trouvé et un grand nombre de documents devraient d’ailleurs vous parvenir à Earghan par messager peu après ce nariu.
Les ayant parcourus rapidement moi-même, je peux vous assurer dès maintenant ce vers quoi ils semblent pointer: le Serpent cherchait une manière de rendre aux Noirceurs l’utilisation de leur éther. Ce fait a été corroboré par les témoignages des survivants trouvés sur place, d’autant plus ceux qui avaient été sous l’emprise de la Noirceur. Ces-derniers lui servaient d’assistants dans ses expériences et, d’après leurs dires, elle essayait dernièrement d’extraire la boucle d’éther de ses cobayes. Je n’ai pu comprendre comment elle comptait s’y prendre ou si elle allait jamais y arriver, je suis sûr que les archimages de la capitale sauront bien mieux que moi vous éclairer sur la question.
Il reste également un certain nombre de machines et de mécanismes plus encombrant que nous avons récupérés. Ceux-là sont pour l’instant sous ma garde, et j’attend vos consignes les concernant. Les envoyer prendra cependant beaucoup de temps si c’est votre souhait qu’ils parviennent à Earghan.
Pour ce qui est de la Noirceur connue sous le nom de Vaesi, nous n’avons pas encore pu retrouver sa trace, mais il semblerait qu’elle soit partie avec plusieurs documents et produits. Les escouades dans les environs ont été mises au courant, et savent que les produits peuvent être dangereux, et potentiellement affecter leur boucle; et les recherches sont en cours.
Ce qui semblerait être le but des expérimentations de la Noirceur n’a cependant pas été partagé jusqu’ici, et les Veilleurs qui étaient sur place sont pour l’instant tenus au secret. Je craignait que la possibilité que les Noirceurs puissent à nouveau utiliser leur éther en plus de leurs pouvoirs actuels effraye la population d’une manière ou d’une autre, bien qu’il semble que le Serpent n’ai pas réussi à y parvenir.
J’attends encore une fois vos consignes à ce sujet, selon si vous préférez garder cette information secrète ou non.
Votre humble serviteur,
Maître-Veilleur Vormel Vivelame
Le dernier Déluge
Jakim m’a fait une peur bleue quand il est rentrée de la bataille contre les rebels dans les Gorges: je ne sais pas comment il a fait pour s’en sortir avec autant de blessures. Il n’y a pas une partie de son corps qui n’était pas bandagée quand il est arrivé à la maison, et il a perdu une bonne partie de sa vision dans son oeil gauche, ainsi qu’une partie de son nez, courtoisie d’un projectile qui lui est arrivé presque droit au visage. D’après ce qu’il m’a dit, il a eu beaucoup de chance de s’en sortir vivant.
Il m’a décrit la bataille comme une scène sortie de ses pires cauchemars: les attaques de la citadelle, la glace pleuvant du ciel, l’explosion finale… Après avoir entendu ça, je me suis contentée d’être heureuse qu’il ait pu revenir en vie.
Le retour de Théotim n’était en aucun cas prévu, et encore moins dans un tel contexte. Quand je l’ai vu arriver vers la maison, j’ai cru qu’il avait été blessé et qu’il rentrait se remettre en forme. J’ai été extrêmement surprise quand j’ai appris qu’il avait été suspendu, un peu moins quand il m’a expliqué pourquoi.
Notre Théotim a vraiment été bouleversé par le passage des Déluges dans sa région, il a tant perdu. Cela ne m’étonne pas qu’il ait voulu se venger de celui qui a tout orchestré. Il a prit le temps après ses explications de m’assurer que malgré le fait qu’il restait suffisamment attaché à ses parents biologiques pour vouloir les venger, il me considérait tout de même comme sa mère. Il restera toujours mon petit garçon, celui que Jakim m’avait confié encore tremblant après avoir fouillé ce village, mais ça fait tout de même du bien d’entendre qu’il nous voit lui aussi comme une famille.
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Vormel est venu nous rendre visite pour nous faire part de vive voix des dernières nouvelles concernant le dernier Déluge. Il a commencé par s’excuser auprès de Théotim pour sa suspension, alors même qu’il n’en était pas responsable au départ. Théotim lui a simplement dit qu’il comprenait qu’une telle perte de contrôle aurait pu mettre ses frères d’arme en danger, et qu’il n’y avait aucun problème.
D’après ce que nous a dit mon beau-frère, ils ont débusqué ce Déluge, un certain Vaesi, alors qu’il était occupé à jouer au petit chimiste en quelque sorte. Il s’était fait un abri des plus sommaires pour faire ses mélanges, qu’il a fuit quand il a senti l’approche du groupe de Veilleurs. Ils ont donc dû le poursuivre à travers bois pendant un bon moment, en évitant de glisser sur les flaques de boue qu’il semblait faire sortir de nulle part.
Ils ont quand même fini par réussir à l’encercler, de sorte à ce qu’il ne puisse plus fuir. Seulement, quand il s’est retrouvé coincé, il aurait juste éclaté de rire, sorti une fiole d’une de ses poches et bû le contenu. Je ne pense pas qu’il se soit passé ce qu’il avait prévu par la suite, parce que Vormel nous a décrit comment il a commencé à hurler, et comment sa chair a commencé à fondre sur ses os.
Je lui ai demandé d’arrêter ses descriptions graphiques de ce qui s’était passé et il a simplement conclu par le fait que la Noirceur était morte par sa propre faute.
Je me doute qu’il a caché certaines choses dans le récit qu’il nous a fait à tous, puisqu’il a ensuite voulu s’entretenir en privé avec Jakim, mais cela m’importe peu. Si c’est quelque chose dont je dois m’inquiéter, mon mari m’en fera part; et le simple fait de savoir que tous les Déluges sont morts semble avoir permis à Théotim de tourner la page.
Je l’ai accompagné dehors quand il est allé enterrer son couteau auprès des pierres tombales que nous avons érigées il y a plusieurs années, quand il a apprit que ses parents n’en avaient pas dans sa région d’origine. Il m’a raconté que c’est la dernière chose que sa mère lui ait donné, pour se protéger des Aberrations arrivant vers son village. Il l’avait finalement utilisé pour achever le Serpent, et il peut maintenant s’en séparer.
J’ai pu parler avec Vormel après que nous soyons retournés à l’intérieur. Il m’a assuré que la suspension de Théotim devrait bientôt être levée. Il devrait pouvoir repartir combattre à peu près en même temps que son père, les blessures de ce dernier étant presque toutes devenues des cicatrices.
Il m’a aussi parlé d’un autre Veilleur de qui il s’est rapproché.
Je suis heureuse. Le temps des Déluges est terminé. La vie peut continuer.
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