La Noirceur Inferno
« Inferno », étagère Mythes et légendes
[Page numéro 2]
Marquée à l'encre
Un jour, dans un village reculé, naquit une petite fille tout ce qu’il y a de plus normal, à l’exception d’une anomalie de la pigmentation de sa peau qui lui donnait une teinte d’un noir d’encre en des endroits divers du corps, notamment une tâche importante sur son visage. Malgré cette particularité, elle était en parfaite santé, un bébé normal, tout ce qu’il y a de plus humain.
Ce ne fut cependant pas l’avis des autres villageois, qui virent cette pigmentation comme le signe qu’elle leur porterait malheur. Des rumeurs comme quoi son père serait une Noirceur, voire même une Aberration, se propagèrent rapidement; accusations qui ne purent être démenties par sa mère, décédée lors de l’accouchement.
Ses grand-parents furent ceux qui l’élevèrent, et les seuls à la considérer comme “normale” et à lui assurer jour après jour qu’elle n’avait en aucun cas à avoir honte de son apparence.
Ils lui offrirent ainsi un havre de paix à l’abri des insultes qu’elle recevait chaque jour. A leur mort cependant, elle perdit toute once de cette paix.
Sa vie devint un vrai cauchemar: les volées d’insultes s’accompagnaient alors de détritus jetés à son visage, et la maison qu’elle considérait comme son havre de paix, dont le reste du voisinage ne s’approchait pas jusqu’ici par respect pour les anciens y habitant, était à présent la cible de groupes d’enfants tambourinant aux portes et aux fenêtres en riant et en la traitant de monstre.
Elle essaya un temps d’endurer cet enfer, se remémorant les paroles rassurantes de ses grand-parents et espérant contre tout espoir que les villageois finiraient par la voir pour ce qu’elle était, une jeune fille normale. Cette détermination s’étiola au fur des jours, sa solitude se faisant toujours plus pesante et douloureuse.
Ainsi, un jour, alors que les villageois l’avaient acculée et s’était remis à la couvrir d’insultes et de projectiles, certains d’entre eux en venant même aux mains, elle céda. Elle se sublima, donnant alors raison à ceux qui prédisaient qu’elle rejoindrait les Noirceurs, et tua deux de ses agresseurs dans son élan accélératif avant de fuir au loin.
Caché dans les environs, elle s’en voulut d’abord beaucoup d’avoir ôté la vie à deux personnes, ne sachant ce qui lui avait pris de faire cela. Elle eu ensuite le temps de se remémorer les horreurs qu’ils lui avaient fait subir encore et encore, et sa culpabilité se transforma peu à peu en soulagement, en joie qu’elle n’aurait plus à endurer quoi que ce soit de la part de ces deux là.
Une pensée lui traversa l’esprit: ils n’étaient pas les seuls, tous dans son village l’avaient faite souffrir. Elle ne leur en laisserait plus l’occasion.
Alors, devenue Noirceur, elle revint dans son village, et brûla tout, bâtiments comme habitants, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que cendres. La seule chose qu’elle épargna fut la maison qui l’avait vu grandir.
“Désolée Nana, je suis devenue ce qu’ils voyaient en moi. Je leur apporte l’enfer.”
Le culte du feu
Inferno resta seule pendant un certain temps, mais commença ensuite, on ne sait comment, par être suivie par des fidèles, personnes le plus souvent rejetées par leurs pairs dans leurs villages respectifs. Quand le nombre de fidèles atteint la douzaine, ils gagnèrent leur nom: le culte du feu. C’est aussi à partir de ce moment là qu’ils commencèrent leurs chasses.
Elles se déroulaient toujours de la même manière: les fidèles arrivaient dans un village un jour donné, et commençaient à exhorter les habitants à rejoindre leur culte, leur vantant leur leader Inferno et son infinie bonté de recueillir les rejetés de la société. Ces discours se poursuivaient aux quatre coins du village pour une à trois journées, après quoi les fidèles repartaient accompagnés de leurs nouvelles recrues s’ils avaient réussi à en convaincre.
Les villageois retournaient alors à leurs habitudes pour une journée, mais la nuit suivante, sans faute, une lueur s’élevait dans les environs, grossissant en se rapprochant des habitations, jusqu’à ce que chacun puisse reconnaître la Noirceur Inferno, entourée d’une aura de flammes (et accompagnée d’une meute d’hydrames). Le feu se mettait alors à pleuvoir, ne laissant que cendres et pierres brisées sur son passage, les fidèles récupérant tout ce qui avait pu être épargné par le flammes.
Ceci étant fait, le culte du feu, guidé par Inferno, se mettait en marche vers un autre village pour leur chasse suivante.
Plusieurs fidèles ne supportèrent pas toute cette destruction à plusieurs moments au cours de l’existence du culte, et essayèrent de s’enfuir, de se détacher de cette secte. Cependant, la sortie du culte et la trahison étaient les deux choses qui n’étaient pas tolérés dans le culte du feu. Aussi, ces fuyards étaient à chaque fois rattrapés par d’autres fidèles (ou par les hydrames suivant Inferno) et ramenés devant la Noirceur, accrochés à un poteau ou quelconque arbre.
Tous les fidèles se rassemblaient alors autour du “traître” tandis qu’Inferno le brûlait vif, et restaient à observer les flammes avec une fascination morbide jusqu’à ce que les cris du condamné s’éteignent. Plusieurs cadavres de ce genre furent retrouvés dans la région d’activité d’Inferno, avec toujours une pancarte non loin: “Les impies brûleront”.
Le masque de fumée
Rapport-témoignage sur la mission de neutralisation de la Noirceur Inferno
Nous étions trois Sentinelles à avoir accepté la mission à haut risque mais s’accompagnant d’une très large récompense. Les directives étaient assez simples: se placer dans le village nous étant assigné, infiltrer le culte du feu si l’occasion se présentait et mettre en marche l’outil runé le lendemain de notre “entrée” dans le culte, peu avant la tombée de la nuit. Il s’agissait d’une sorte de bille de métal, deux fois plus petite qu’un point mais couverte de gravures, runes ou rainures la séparant en plusieurs parties. On nous a rabâché que toute découverte de nos intentions par les membres du culte conduirait à notre mort, et qu’il fallait impérativement que nous ne nous fassions pas démasquer. Comme si nous n’avions pas entendu parlé des cadavres calcinés trouvés dans les environs. C’est notre métier d’être au courant de ce genre de choses.
Toujours est-il que, par chance (par malheur?), le culte fit son arrêt dans le village m’étant assigné seulement une semaine après que je m’y soit posté. La grande majorité des fidèles se sont mis à psalmodier du haut d'à peu près tous les promontoires qu'ils pouvaient trouver, attirant parfois une petite foule, parfois une poignée de personnes. Presque tous ceux qui venaient les écouter finissaient par rouler des yeux et s'en aller ou se moquaient bruyamment d'eux à l'entente de leurs discours vantant Inferno et tous les bienfaits qu'elle apportait aux fidèles. Quelques-uns semblaient cependant sceptiques, et c'est eux qu'abordaient le reste des membres du culte. Ces derniers, bien plus silencieux que leurs collègues haut perchés, se glissaient dans les foules d'auditeurs et observaient les réactions pour pousser à les rejoindre ceux semblant les moins désapprobateurs.
Observant de loin ceux qu'ils approchaient, je me contentais d'imiter les cibles pour qu'un tel fidèle m'approche à mon tour. Il me proposa un verre, autour duquel je pourrais lui parler de ma vie. Bientôt, il plaignait tous mes malheurs et se réjouissait de toutes mes victoires comme l'aurait fait un vieil ami. Il finit par me dire qu'il pensait que je serais une addition parfaite à leur famille, et à me présenter la noirceur Inferno comme une matriarche tendre et protectrice plutôt qu'une déité comme le faisaient ses collègues psalmodiant dehors. J'exprimais quelques doutes pour ne pas paraître trop suspect, et il s'empressa de me rassurer jusqu'à ce que finalement j'accepte de rejoindre le culte du feu.
Deux jours après que les fidèles soient entrés dans le village, ils en ressortaient tous avec moi et trois autres habitants qu'ils avaient réussi à convaincre. Nous nous sommes grandement éloignés du village, marchant de longues heures jusqu'à ce qu'on puisse ressentir une nuée d'exhalations rouges, dont une plus sombre. Peu après nous arrivions à ce que j'imagine était leur campement, et c'est là que j'ai rencontré Inferno, la seule noirceur que j'ai jamais vue de ma vie.
Et de tellement près! Elle était comme entourée d'un voile de brume noire, semblant être un peu plus soudé à elle en certains endroits. Derrière ce brouillard, je pouvais deviner des courbes féminines et une chevelure folle, tout ce flou ne faisant qu'accentuer la netteté de ses yeux gris-verts. Quand nous arrivâmes devant elle, elle nous souhaita la bienvenue à nous, ses nouveaux enfants, dans sa grande famille, nous promettant que nous serions totalement acceptés dans cette communauté et qu’elle nous protégerait, elle et sa meute, des jugements et attaques de l’extérieur.
J’ai pu voir que la majorité des membres de son petit groupe de fidèles étaient très jeunes, et en discutant avec plusieurs d’entre eux en attendant la tombée du jour, que tous étaient des parias ou se sentaient rejetés par le reste de la population d’une manière ou d’une autre. Des gamins paumés en résumé. Pas étonnant que tous avaient été alléchés par ses promesses de famille tolérante et accueillante.
Et on aurait vraiment dit une famille, tout le monde se connaissant et étant bienveillant les uns avec les autres, Inferno observant de loin comme si elle surveillait un groupe de bambins. L'illusion aurait été parfaite, si ce n’était les Aberrations dégoulinantes faisant leurs rondes dans le campement et les restes carbonisés du dernier “traître” en date encore attachés à un arbre tout aussi calciné non loin. La Noirceur fini par se lever alors que le soleil touchait tout juste l’horizon, et annonça le début de la “purification”, les différentes aberrations convergeant alors vers elle.
Je ne pouvais rêver meilleur signal et, s'écartant un peu pour me trouver sous le couvert des arbres, j'échangeais brièvement avec le dispositif qu'on m'avait fourni. La petite boule se mit immédiatement à fuser vers le ciel, puis à émettre une lumière aveuglante une fois à une altitude relativement haute, certaine d'attirer l'attention. Alors que je m'esquivais dans la forêt, j'entendais le cri de rage d'Inferno, et les exclamations étonnées des membres du culte. Je courais le plus vite et discrètement possible pour m'éloigner de l'assemblée, la Noirceur ordonnant à grand cris qu'on se saisisse de moi, le traître.
Malgré mes efforts, l'une des Aberrations finit par me rattraper, mais contre toute attente ne me tuait pas sur le coup. Je fut traîné dans le sens inverse, alors que des nuages chargés de pluie s'amassaient peu à peu autour de la sphère continuant d'illuminer la clairière.
L'atmosphère avait grandement changé quand j'entrais à nouveau dans le camp escorté par la meute. Au lieu des sourires et de la bienveillance, je fut accueilli par des grognements presque animaux et de crachats au visage.
Inferno n'avait plus du tout l'air d'une mère aimante: son corps entier était recouvert de flammes rugissantes, la faisant ressembler à une véritable torche humaine. Seuls ses yeux restaient encore visibles, comme entourée d'un masque fait de cette fumée qui semblait lui coller à la peau un peu plus tôt, et d'un froid arctique et tétanisant. Bientôt, le reste du culte s'était rassemblé autour de moi, jeté aux pieds de la Noirceur.
Prenant le ton d'un chef de guerre, cette dernière annonça à tous qu'une grande bataille les attendaient contre les armées blanches, et qu'ils n'auraient donc pas le temps de me punir selon leur rituel. Je ne resterai cependant pas impuni.
"Les traîtres brûleront."
La dernière chose que je vis fut ce masque de fumée et une tornades de flammes avant que la douleur dévore ma chair.
Je me suis réveillé plus tard dans un lit d'hôpital. Les Veilleurs m'ont apparemment retrouvé dans au bord d'un cours d'eau dans lequel je n'ai aucun souvenir d'avoir atterri. Mon corps est recouvert de brûlures au plus haut degré, mais je suis suffisamment riche pour ne plus jamais avoir à travailler si je le souhaite, et Inferno a été achevé plus facilement grâce à mon aide. Au bout du compte, une victoire j’imagine. Bien que j’aurais préféré que tout ça se termine sans que je ressemble à une grillade.
Le nom a été effacé pour des raisons professionnelles